Lorsque se reconstruit ainsi quelque part l’effroyable route qui mène vers le mal absolu, celui-là en capacité d’empêcher la destruction d’un peuple, et qui s’abstient de le faire, est condamnable au même titre que le bourreau de ce peuple-là. Lettre ouverte à Barack Obama, François Hollande et Yoweri Museveni.
Lettre ouverte à Barack Obama, Président des Etats-Unis ; François Hollande, Président de la République française ; Yoweri Museveni, Président de l’Ouganda et médiateur de l’EAC.
Messieurs les Présidents,
Je vous écris ma plume raclant la plainte des nôtres, morts assassinés à Cibitoke, Mutakura, Musaga, Mukike, Buyenzi, Kinama et ailleurs. Combien nos appels au secours, combien nos cris de détresse et où votre bras silex déployé et protégeant le droit et la vie? Lorsque sonnera l’heure du règlement des comptes de l’histoire, que dira-t-on de votre tenue? Que, pourtant dépositaires de notre détresse, les mains figées, vous avez attendu sagement la fin de la partie? Et que le plus fort gagne! Et que le plus féroce terrasse le plus faible? Et gloire, lauriers et tapis rouge au plus barbare? Et que la vie reprenne son cours? Et le sang? Et notre sang?
Messieurs les Présidents,
Nos vies torturées avec les torturés, massacrées avec les massacrés, nous avançons désormais –le ciel vide –sachant que demain, oui demain, nous mourrons encore, nous mourrons en masse si rien n’est fait. Moïse Bucumi, ancien dignitaire proche de Nkurunziza :
«Le président Nkurunziza m’a envoyé le Général Adolphe, l’homme à tout faire du Président. Et le Général Adolphe m’a dit qu’il est prévu de tuer tous ceux qui s’opposeront au Président. Il m’a dit : “Nous ferons tout pour armer les Imbonerakure, Nous avons prévu quatre à vingt fusils par commune.” Je vous le dis : très bientôt, vous le verrez, beaucoup de gens vont mourir. Ils seront tués par leur propre gouvernement. Et les dizaines de manifestants déjà tués, c’est rien par rapport à ce qui va arriver. Je vous le dis : tout est bien planifié et ils vont exécuter leur plan. Les gens ciblés? Les responsables de la société civile, les responsables des partis politiques, et tous les membres du parti au pouvoir en désaccord avec le Président. Et je vous le dis : ce ne sont pas seulement ces gens-là qui vont être tués.»
Murmures d’un enfer déjà connu…
Messieurs les Présidents, lorsque se reconstruit ainsi quelque part l’effroyable route qui mène vers le mal absolu, celui-là en capacité d’empêcher, par son action, l’irréparable, c’est-à-dire la destruction d’un peuple, et qui s’abstient de le faire, est condamnable au même titre que le bourreau de ce peuple-là.
Oui, nous sommes responsables les uns des autres et un homme, un vrai, est celui qui dit : qui vous cogne me cogne, qui vous traque me traque, qui vous assassine m’assassine. Oui, la solidarité est l’ultime expression de notre élévation en humanité. Obligation morale, civilisationnelle donc de porter secours au peuple brutalisé, martyrisé, écrasé du Burundi. Il s’agit de mettre un terme aux obscurs dessins d’un tyran d’un autre âge, un tyran persuadé qu’on ne gouverne les hommes que le nez dans le crime absolu et les mains dans la rapine.
J’entends déjà l’objection : et la souveraineté nationale? Et le sacro-saint principe de souveraineté nationale? Et les Etats auraient donc ainsi le droit souverain, absolu, royal, césarien de tyranniser, de torturer, de massacrer leur population au nom de ce fameux précepte? «Chacun chef chez lui» et liberté d’écraser, d’enfermer, de tuer en-deçà de ses frontières nationales? Assez! Assez avec cette culture de l’impunité nationale-souveraine. Dès lors qu’un Etat a failli à son devoir de protection; dès lors qu’il représente une menace dirigée contre une catégorie de sa propre population; dès lors qu’un pouvoir est auteur de massives violations des droits de la personne humaine; dès lors que ce pouvoir-là terrorise et tue une catégorie de ses citoyens sans aucun état d’âme, la responsabilité internationale de protéger doit prévaloir; l’ingérence dans ces conditions s’impose de fait comme un impératif moral; porter secours aux victimes devient –dans ces circonstances-là – un devoir de conscience, un devoir d’humanité. Indiscutablement. Indubitablement. C’est de sauver la vie et la conscience de notre commune humanité, c’est d’affirmer le grand souffle de notre appartenance au même monde qu’il s’agit.
Messieurs les Présidents,
L’espérance lucide, nous savons qu’il n’est point d’horizon sans horizon et que nous survivrons quoiqu’il advienne. Oui, nous sortirons de ces jours de brume et de sang car nous savons dorénavant : nous savons que toute oppression est illégale et qu’elle justifie tous les combats; nous savons que l’histoire a parfois des gambettes de tortue mais qu’elle finit toujours par rattraper le bourreau; nous savons, oui, nous savons que viendra inexorablement le temps de faire la somme des justes et des félonies. Et ce jour-là pour chaque vie brisée, nous sera alors posé à tous, plus à vous qu’à tous, la redoutable question : où étiez-vous, qu’avez-vous fait lorsque la tyrannie a pris ses aises à Bujumbura? Qu’avez-vous fait pour arrêter le bras du massacreur?
Oui, le sang tâche; le sang tâche à jamais; il vous éclabousse, vous colle comme l’ombre collant au corps, vous dévisage, vous toise, vous charge, vous accuse, vous montre du doigt dans tous les regards, et vous interroge : qu’avez-vous fait? La question vous sera posée un jour : qu’avez-vous fait pour le Burundi ?
Par David Gakunzi