Cette analyse fait suite aux affirmations de monsieur Mohamed Camara encore disponibles sur www.visionguinee.info, selon lesquelles «L’expédition des affaires courantes par les ministres démissionnaires est illégale ». La même position est reprise sur www.guineematin.com. Ce qui est regrettable, voire constitutif de faute pour un juriste qualifié de constitutionnaliste par certains médias guinéens, c’est de qualifier un fait d’illégal sans faire référence à la base légale qui fonde ses affirmations, c’est-à-dire, la loi dont la violation rend l’expédition des affaires courantes par les ministres démissionnaires illégale. Un juriste n’est pas législateur. Il ne peut pas créer la loi, ni qualifier un fait de légal ou d’illégal pour simple convenance personnelle. La légalité et l’illégalité d’un fait ou d’un acte s’apprécient par rapport à la loi et non par rapport à la volonté ou la position d’un juriste. Son rôle consiste à analyser les lois, les commenter et les expliquer entre autres. De ce fait, il doit absolument citer avec précision la loi qui fonde sa position ou ses affirmations. Je serai reconnaissant en vers monsieur Mohamed Camara s’il accepte de nous citer la base légale de ses affirmations.
Pour mieux situer le débat, nous vous reproduisons les arguments de monsieur Camara tels que publiés sur www.visionguinee.info : «Interrogé sur le sujet par la radio Espace Fm, le juriste Mohamed Camara a déclaré qu’en lieu et place des ministres démissionnaires, ce sont les secrétaires généraux des différents ministères qui doivent continuer à expédier les affaires courantes. Ce, précise-t-il, le temps qu’un nouveau gouvernement soit mis en place et que les passations de service se fassent en bonne et due forme. M. Camara note un paradoxe dans la démission du gouvernement qui, selon lui, semble être “acceptée et non acceptée en coulisse” pour dire que les “affaires courantes sont expédiées par les mêmes ministres”. Or, souligne l’homme de droit, “les ministres démissionnaires ne peuvent pas continuer à expédier les affaires courantes, sauf si vous dites que vous n’acceptez pas du tout leur démission” ».
Pour répondre à la question posée, nous estimons que l’expédition des affaires courantes par les ministres démissionnaires ne souffre d’aucune illégalité. Contrairement à monsieur Camara, nous nous obligeons, comme il se doit, de citer les bases légales de nos affirmations.
Pour faciliter la compréhension de notre démonstration, nous signalons l’impérieuse nécessité de faire la différence entre le pouvoir qualifié de « pouvoir discrétionnaire » et le pouvoir qualifié de « pouvoir lié » d’une autorité.
Quand le pouvoir ou la compétence d’une autorité est « liée », son détenteur n’aura pas de marge de manœuvres ni de choix dans sa prise de décision. Il en est ainsi quand un étudiant réussi son examen. Le ministère de l’éducation est dans l’obligation de lui délivrer son diplôme. Il n’aura aucun autre choix légal.
Par contre, quand le pouvoir ou la compétence d’une autorité est « discrétionnaire », elle dispose des marges de manœuvres et de choix, bien entendu, dans le respect de la légalité. Il en est ainsi entre autres exemples, de la grâce présidentielle consacrée par l’article 49 de la constitution qui dispose que : « Le président de la République exerce le droit de grâce ». Il s’agit de droit de grâce et non d’obligation de grâce. Il l’accorde à qui il veut. Cette compétence est qualifiée de « compétence discrétionnaire du président ». Le pouvoir de nomination et de révocation des ministres, ainsi que la poursuite de leur fonction après la démission du gouvernement relèvent du pouvoir « discrétionnaire » du président qui n’est assorti d’aucune autre condition légale. Contrairement aux affirmations de monsieur Camara, aucune obligation légale de faire expédier les affaires courantes par les secrétaires généraux des ministères ne pèse sur le président de la République.
Pour poursuivre notre démonstration, nous estimons que la réponse à notre question se trouve dans les articles 45, 52, et 53 de la constitution. Nous commençons notre analyse par l’article 52 de la constitution qui dispose dans son alinéa 1er ce qui suit : « Le premier ministre chef du gouvernement est nommé par le président de la République qui peut le révoquer ». Ce pouvoir est un pouvoir discrétionnaire du président. Il nomme qui il veut comme premier ministre et le révoque quand il veut sans aucune obligation de motiver sa décision. Les deux limites à ce pouvoir discrétionnaire sont d’ordre légal et personnel. Limite d’ordre légal veut dire qu’il ne peut pas nommer un citoyen au poste de premier ministre ou de ministre s’il tombe sous le coup d’une interdiction légale. Par exemple, on peut citer une condamnation judiciaire incompatible avec les fonctions de ministre et de premier ministre. Pour la limite d’ordre personnel, on peut citer le fait que nul ne peut être obligé d’être ministre ou premier ministre sans son consentement. C’est ce qui nous fait dire qu’un contrat de gouvernance lie le président avec chacun de ses ministres. Ce contrat est fait de la rencontre des deux volontés à savoir, celle du président qui fait l’offre de poste ministériel et celle du citoyen qui accepte ce poste de façon volontaire car il n’y est pas obligé. Étant un contrat de gouvernance et que nul ne peut être lié indéfiniment par un contrat, le ministre ou le premier ministre peut mettre fin au contrat en démissionnant du gouvernement de sa propre volonté. Le président aussi, sur le fondement entre autres de l’article 53 alinéa 2, peut mettre fin à la fonction d’un ministre. Attention ! Ce contrat de gouvernance est un contrat d’adhésion marqué par le pouvoir exorbitant du droit commun accordé au président de la République par la constitution et que la démission du premier ministre entraine celle de tout le gouvernement.
Étant liés par la rencontre de leurs volontés dans un domaine relevant du pouvoir discrétionnaire du président de la République, ce dernier et ses ministres peuvent légalement, après la démission du gouvernement, convenir que les ministres expédient les affaires courantes en attendant la mise en place du nouveau gouvernement.
Attention ! En droit, tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. Du fait que nous ne voyons aucune interdiction légale quant à l’expédition des affaires courantes par les ministres sortants, nous nous demandons sur quel fondement monsieur Mohamed Camara qualifie ce fait d’illégal ? D’ailleurs, l’article 53 alinéa 2 nous apporte d’autres précisions. Cet article dispose que : « Le président de la République nomme les ministres et met fin à leur fonction après consultation du premier ministre ». On voit que c’est le président qui nomme les ministres et met fin à leur fonction de façon totalement discrétionnaire. S’il leur demande de poursuivre momentanément leur fonction et que les ministres acceptent volontairement, on se trouve toujours dans le cadre de l’article 53 alinéa 2 qui permet au président de confier l’exercice de fonction ministérielle à un citoyen et d’y mettre fin quand il le souhaite sans aucune condition liée à l’acceptation ou non de la démission du gouvernement. A notre connaissance, il n’est mentionné nulle part dans la législation guinéenne, ni directement, ni indirectement, qu’un gouvernement sortant ne peut pas légalement expédier les affaires courantes.
Beaucoup d’autres arguments légaux peuvent fonder notre position. Mais, pour ne pas être trop longs, nous nous limitons à ces arguments avec espoir que nous avons été compris.
En conclusion, sans prétendre détenir la vérité absolue, nous estimons que l’expédition des affaires courantes par le gouvernement démissionnaire est légale et ne souffre d’aucune contestation sérieuse.
Pour finir, nous nous permettons d’alerter les Guinéens sur les points suivants :
Lire la constitution et les lois puis, mémoriser les articles et leur contenu ne font pas un juriste. Étant donné que nul n’est censé ignorer la loi, tout justiciable, juriste ou pas, est incité à faire autant dans la limite de sa possibilité. La lecture et la mémorisation des textes de loi ne sont pas une formation spécifique aux juristes. Être juriste exige beaucoup plus que cela.
Pour faire une analyse juridique sans grand risque d’être ridicule, il faut avoir une vue panoramique sur plusieurs branches du Droit car, chaque branche du Droit est au carrefour des autres branches. Par exemple, l’analyse d’une question sur la législation du travail (Droit du travail), selon le contexte, peut exiger de faire appel à la fois à des connaissances en droit constitutionnel, droit pénal, droit international, droit civil entre autres. C’est l’une des raisons pour lesquelles la lecture des codes ou la constitution ne donnent ni la qualité ni les connaissances nécessaires pour être juriste. La connaissance et la technique juridique nécessaires pour être juriste ne s’acquièrent jamais en dehors des facultés de Droit. C’est pourquoi on dit que, n’est pas juriste qui veut. En France que je connais mieux, et à certain moment, les 60% des étudiants en Droit quittaient les facultés sans diplôme. Quant aux réussites annuelles, elles étaient de l’ordre de 25 à 30%. Si c’était aussi facile que les autoproclamés juristes le pensaient, le taux d’échec aurait été tout autre.
Chers lecteurs, cette analyse ne doit en aucun cas être considérée comme un quelconque acharnement sur monsieur Mohamed Camara. Il y a un rapport mécanique entre ses actions et mes réactions. C’est lui qui avance ses analyses juridiques qui déclenchent les miennes. En matière scientifique, il n’ya rien de plus bénéfique que la confrontation des idées. C’est cette volonté de participer à l’information des Guinéens et à la formation des étudiants en Droit qui motivent mes analyses.
Je remercie tous les lecteurs et je reste ouvert à tout critique et suggestion de nature à augmenter ma modeste connaissance en Droit.
Makanera Ibrahima Sory
Juriste d’Affaires et d’entreprise
Fondateur du site leguepard.net
Contact : makanera2is@yahoo.fr