Le président de la république a prêté serment devant la Cour Constitutionnelle le 14 décembre 2015 et les termes du même serment ont été réitérés pendant les cérémonies d’installation du 21 octobre 2015.
Il est à rappeler que lors des cérémonies de prestation de serment du 14 décembre, le président de la République n’a pas lu le texte du serment en intégralité. Les mots suivants « faire respecter …. » ont été omis par le président de la République. Cette omission a été source d’interprétations diverses d’une part et d’hésitation des juges constitutionnels d’autre part.
Pour certains commentateurs, il y a violation de l’article 35 et recommandent la reprise de la prestation du serment. D’autres estiment que la validité du serment est exempte de tout vice de nature à invalider la procédure de prestation du serment.
Avant de donner notre avis, il est nécessaire de définir le serment (1), analyser les arguments sur la validité du serment du 14 décembre (2) et s’interroger sur la position adoptée par la Cour constitutionnelle (3).
Le serment est défini par Pufendorf comme un acte par lequel une volonté particulière impose le respect de la parole donnée, venant renforcer une obligation juridique.
Pufendorf et Kant ajoutent que « le serment est une espèce de sureté qui, dans l’esprit de tout le monde, donne beaucoup de poids et de créances à nos discours et à tous les actes où la parole intervient. Il rend la parole sacré en prenant à témoin une divinité à qui l’on ne peut rien cacher de ses intentions et dont on craint la justice en cas de manquement à la parole donnée ».
En Guinée, le serment bénéficie à la fois d’une consécration constitutionnelle et du code civil, mais le constituant et le législateur sont restés muets sur la définition du serment.
Le code civil dans son article 802 reconnaît le serment judiciaire comme moyen de preuve et le défini dans son article 828 comme suit : « le serment, qui constitue un acte à la fois civil et religieux, est de deux sortes selon l’emploi qui en est fait…….. ».
La position qui soutient l’invalidité du serment, avance l’argument selon lequel il ya :
De cet argument, elle conclue que le président de la République doit reprendre la prestation du serment.
Comme on le sait, la reprise du serment par le président de la république avant son installation le 21 décembre aurait invalidé la prestation du serment du 14 décembre 2015, dont la cour constitutionnelle avait pris acte, autrement dit, l’avait déclarée valide. C’est pourquoi le président de la Cour constitutionnelle avait précisé lors des cérémonies du 21 décembre 2015, qu’il ne s’agissait pas de prestation de serment, mais d’installation du président de la République.
Une éventuelle reprise du serment par le président de la République aurait au moins induit l’interrogation suivante:
La Cour constitutionnelle peut-elle annulée son arrêt du 14 décembre 2015 portant prestation du serment ?
La réponse à la question ci-dessus est explicitement annoncée par l’article 99 de la constitution. De cet article on peut lire : « Les arrêts de la cour constitutionnelle sont sans recours et s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives, militaires et juridictionnelles ainsi qu’à toute personne physique ou morale ».
Ainsi, l’article 99 consacre sans ambigüité l’impossibilité de recours contre les arrêts de la Cour constitutionnelle qui s’imposent également à la Cour constitutionnelle du fait, entre autres qu’ils s’imposent à toutes les autorités administratives et juridictionnelles sans aucune exception.
Par conséquent, après le fait par la Cour, de prendre acte du serment du 14 décembre 2015, toute possibilité de reprise nous semble juridiquement impossible.
Que dire des arguments sur la violation des dispositions de l’article 35 de la constitution ?
– Omission de prononcer « et de faire respecter… », donc toutes les phrases du serment n’ont pas été dites ;
– Que faute de cet engagement, le président ne sera pas dans l’obligation légale de faire respecter la loi ».
Ces arguments tournent autour de deux idées. Un constat et une conclusion.
Le constat relatif à l’omission de quelques phrases du serment, fait l’unanimité des différentes positions. Mais, la controverse s’invite sur la nature et la portée de ce constat.
D’abord, la phrase « et de faire respecter » objet d’omission, se trouve dans la phrase du serment « … de respecter scrupuleusement les dispositions de la constitution… ». En effet, jurer de respecter la constitution renvoie implicitement à la phrase « et de faire respecter… » contenue dans l’article 45 de la constitution.
Ensuite, concernant la portée de l’omission de prononcer « et de faire respecter… », amène à son tour une nouvelle interrogation.
Est-ce que le fait d’omettre la phrase « et de faire respecter », exonère t- elle le président de la république de l’obligation légale de faire respecter la loi ?
A cette interrogation, l’article 45 alinéa2 de la constitution dispose : « il (le président de la république) veille au respect de la constitution, des engagements internationaux, des lois et des décisions de justice ».
Point de doute, l’article 45 alinéa2 impose l’obligation au président de la république de faire respecter les lois en l’absence de tout serment.
En effet, le serment renforce une obligation juridique et n’est nullement en soit, un acte juridique.
Au vu de ce qui précède, on peut affirmer sans risque de se tromper que l’omission de prononcer « et de faire respecter » lors de la prestation du serment du président de la République est une irrégularité. Mais cette irrégularité n’est pas de nature a entaché la validité du serment. Il s’agit de l’irrégularité non substantielle.
En Guinée, la prestation du serment du président de la république est consacrée par l’article 35 de la constitution. Cet article dispose que : « le président de la république est installé dans ses fonctions après avoir prêté serment devant la cour constitutionnelle, en ces termes :
Moi————–, président de la république élu conformément aux lois, je jure devant le peuple de Guinée et sur mon honneur de respecter et de faire respecter scrupuleusement les dispositions de la constitution, des lois et des décisions de justice, de défendre les institutions constitutionnelles, l’intégrité du territoire et l’indépendance nationale.
En cas de parjure que je subisse les rigueurs de la loi ».
Nous sommes devant un serment politique et constitutionnel à caractère promissoire qui est un engagement solennel de remplir au mieux sa mission.
Mais quelles observations peut-on faire sur l’article 35 ?
Des dispositions de cet article 35, on peut faire quelques observations :
L’alinéa1 exige que le président de la République prête serment devant la Cour constitutionnelle, alors que dans le texte du serment, le président de la république prête serment devant le peuple et son honneur.
C’est une évidence, la Cour constitutionnelle ne représente pas le peuple. Il est donc souhaitable que le président élu prête serment devant l’Assemblée Nationale qui représente le peuple de Guinée au sens de l’article 2 de la constitution.
En France, l’article 48 de la constitution de 1848 impose au président de la République de jurer devant Dieu et le peuple français représenté par l’Assemblée Nationale. Mais le serment du président de la République a été aboli par un décret du 5 septembre 1870, le seul serment pratiqué depuis c’est le serment professionnel qui trace les contours d’une déontologie professionnelle.
En revenant sur l’article 35 de la constitution, on peut lire : « le président de la république est installé dans ses fonctions après avoir prêté serment devant la Cour constitutionnelle….. », deux expressions se dégagent explicitement : l’installation et prestation du serment.
Le constituant n’a pas dit que la prestation du serment est immédiatement suivi ou non de l’installation. Dans cette hypothèse, le choix de faire une ou deux cérémonies différentes appartient à l’organe chargé de l’organisation de la procédure de prestation du serment et de l’installation du président élu.
D’ailleurs, l’article 34 de la constitution donne la possibilité d’une troisième cérémonie, celle relative à l’entrée en fonction.
En effet, dans l’article 34 aliné1 on peut lire : « Le président de la république élu entre en fonction le jour de l’expiration du mandat de son prédécesseur.»
La Cour constitutionnelle a considéré que le serment du 14 décembre 2015 ne souffre d’aucun vice ouvrant droit à sa nullité. C’est pourquoi, elle a refusé de faire reprendre le serment par le président le jour de son installation au profit de sa réitération.
En agissant ainsi, la Cour constitutionnelle a accepté deux serments celui du 14 et celui du 21 décembre. Pourtant, le constituant a employé le mot serment au singulier. Ce choix de la Cour constitutionnelle est sujet d’interrogations et d’inquiétudes.
Aussi, devant le désistement ou le silence du constituant dans la fixation du nombre de cérémonies, la Cour constitutionnelle a choisi deux cérémonies l’une pour la prestation et l’autre pour l’installation. Pour la Cour constitutionnelle, la prestation du serment n’est pas immédiatement suivie de l’installation. C’est cette idée qui se dégage de la position adoptée par la Cour Constitutionnelle le 14 décembre 2015.
Mais, lors de la cérémonie d’installation du 21 décembre, il y a eu revirement de la position adoptée par la Cour constitutionnelle le 14 décembre 2015.
En effet, le 21 décembre, la prestation du serment a été immédiatement suivie de l’installation.
Dans ce sens, la Cour constitutionnelle est hésitante. Elle semble combiner deux solutions, l’une juridique et l’autre politique.
En conclusion, nous faisons partie de ceux qui soutiennent que l’omission du bout de phrase du serment en question n’est pas de nature à entacher la validité du serment car il s’agit d’irrégularité non substantielle d’une part, et d’autre part, même si l’irrégularité était substantielle, du faite que l’article 99 de la constitution reproduit ci-dessus met les arrêts de la Cour constitutionnelle hors de portée de tout recours, donc, de toute contestation légale, la prestation de serment du 14 décembre 2015 aurait été validée par la seule décision de la Cour.
Dr KAKE Makanera Al-Hassan, enseignant chercheur Université GLC/ Sonfonia
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