Certes la Cour Constitutionnelle n’est pas responsable des fraudes électorales en amont, pendant et en aval des scrutins, d’abord parce qu’elle inaugurait ses premières élections, ensuite parce qu’elle n’est là que pour corriger les dysfonctionnements ayant cours. Malheureusement à l’image de la Cour Suprême, elle a montré par sa décision du 31 Octobre 2015, qu’elle se situait dans la droite ligne de ce qui s’est toujours fait en Guinée, à savoir justifier les violations favorables au pouvoir en place, ainsi qu’en témoigne les quelques lignes qui vont suivre.
Il n’est pas question de commenter ici tous les arguments avancés par les 3 requérants[1], car la plupart ont été rejetés soit par manque de preuves, soit parce que ce sont les tribunaux de l’ordre judiciaire qui sont compétents pour juger les voies de faits reprochées.
De toute façon, si on veut se rappeler les points qui ne posent pas de problèmes juridiques (même s’ils en posent au niveau électoral, donc politique), on pourra se reporter à un papier du 5 Novembre[2], dont l’objet était de justifier les arguments de la Cour, et qui ne fait malheureusement que cela, oubliant d’en critiquer certains aspects.
Il conviendra également d’évoquer les points qui nécessitent de modifier les procédures en vue de prévenir, et donc d’éviter les conflits post-électoraux, avant d’aborder les violations proprement dites de la Cour constitutionnelle.
I – Les points qui ne posent pas de problèmes… juridiques
Par le communiqué n°2 de la CENI du 11 Octobre 2015, la CENI a autorisé le vote sans enveloppes, ayant constaté que par endroit, il y avait eu insuffisance d’enveloppes due à une défaillance notoire dans la distribution au niveau des BV – c’est pourtant elle qui en est responsable -, au motif que cela n’avantage ni ne défavorise aucun candidat.
Pourtant l’un des candidats (Faya Millimouno) a soutenu de ce fait, la violation de l’article 81 du Code électoral, qui dispose que : « les votes nuls ne sont pas considérés comme suffrages exprimés lors du dépouillement. Sont considérés comme votes nuls :
Ces bulletins sont annexés au procès-verbal. Le nombre de votes nuls est retranché du nombre d’électeurs ayant voté pour déterminer le nombre des suffrages exprimés ».
La Cour a validé l’initiative de la CENI en vertu de l’article 67 alinéa 6 du Code électoral selon lequel « … l’utilisation des enveloppes est facultative pour le bulletin unique…».
Or l’article 67 dispose que : « le vote a lieu avec des bulletins et des enveloppes fournis par la CENI. Avant l’ouverture du scrutin, le Bureau doit constater que le nombre de bulletins de chaque candidat ou liste de candidats correspond exactement à celui des électeurs inscrits augmenté de 10%. De même le nombre des enveloppes doit correspondre aux nombres des électeurs inscrits augmenté de 10%. Si, par suite d’un cas de force majeur, des bulletins et des enveloppes venaient à manquer, le Président du Bureau de vote est tenu de s’en procurer auprès du démembrement de la CENI concerné. Mention doit être faite au procès – verbal établi par le bureau de vote ».
Cet article 67 précise pourtant bien qu’il faut ABSOLUMENT se procurer des enveloppes. C’est même une condition essentielle de la loi, que la CENI n’est pas habilitée à modifier à sa convenance, car seule l’Assemblée Nationale est habilitée à voter la loi.
Il est donc scandaleux, mais surtout juridiquement illégal, que la CENI, qui est une institution dont la finalité est de faire respecter le droit par les partis politiques, s’en dispense elle-même.
En outre, l’article 67 ne dispose pas d’alinéa 6 (sic !!!). On a donc du mal à comprendre sur quel fondement le juge justifie sa décision, d’autant que l’état de nécessité, qui est curieusement employé pour motiver sa décision, l’est évidemment mal à propos. En effet, sans entrer dans des détails inutiles, il faut rappeler que l’utilisation de l’état de nécessité est surtout mis en œuvre pour justifier la commission d’une infraction (la violation de l’article 81). Mais cela suppose non seulement l’existence d’un danger, mais également le fait que cette violation doit être le seul moyen d’éviter ce danger (il n’y aurait pas de meilleure solution) et enfin, elle ne doit pas être disproportionnée à la gravité de la menace. On pourrait discuter longuement de l’applicabilité de ce cas à la situation qui nous préoccupe, mais il convient également de rappeler un principe, selon lequel le danger ne doit pas être la conséquence d’une faute préalable. Or le manque d’enveloppes est de la responsabilité exclusive de la CENI, qui ne peut donc s’en prévaloir ensuite pour violer la loi.
En conclusion la CENI a violé la loi, et la Cour, non seulement ne l’a pas sanctionné (ce qui aurait abouti à l’annulation des élections), mais elle a au contraire justifié cette décision.
Par le communiqué n°21 de la CENI du 11 Octobre 2015, et afin de faire face à l’engouement au niveau des BV et au retard pris par certains BV, la CENI a pris la décision d’autoriser la prolongation de la durée des opérations de vote, la durée légale du temps de vote étant, selon elle, de 11 heures.
L’un des candidats (Faya Millimouno) soutient que ni la CENI, ni son président, ne sont habilités à prendre la décision d’autoriser la prolongation des heures de fermeture du scrutin dans certains BV, ce qui relève du pouvoir exclusif du président du démembrement de la CENI sur saisine du président du BV, le communiqué ne précisant pas par ailleurs les BV concernés.
En effet selon l’article 65 du Code électoral : « le scrutin est ouvert à sept (7) heures et clos à dix huit (18) heures sur toute l’étendue du territoire national. Toutefois, pour permettre l’exercice normal du droit de vote aux électeurs, le Président du Bureau de vote peut, dans des cas exceptionnels, notamment en cas de retard du matériel électoral, saisir le Président du démembrement de la CENI dont il dépend. Après appréciation des informations qui lui sont fournies, le Président du démembrement de la CENI peut décider de retarder ou non, l’heure d’ouverture et de clôture du scrutin dans le bureau de vote concerné. Il tient immédiatement informés de la mesure qu’il décide et de ses motifs l’Autorité Administrative compétente et le Président de la CENI ».
Selon la Cour, l’article 65 alinéa 2 du Code électoral qui dispose que le scrutin est ouvert à 7 heures et clos à 18 heures sur toute l’étendue du territoire national, signifierait que la durée du scrutin est de 11 heures (par simple soustraction entre les 2 horaires), la CENI n’ayant fait qu’inviter les BV ayant accusé un retard à l’ouverture, de respecter les 11 heures prévues par la loi.
Elle ajoute, sans fonder son argumentation sur un texte, que la CENI est habilitée à prendre des dispositions pour tous les BV qui seraient en retard. Or il n’est écrit nulle part que la CENI est habilitée à changer les règles pourtant très claires, en cours de scrutin. De la même façon, la Cour doit vérifier la conformité de la décision de la CENI par rapport à la loi, et non chercher à justifier par tous moyens ladite décision.
Ainsi lorsque la CENI n’a pas livré à temps les kits dans les circonscriptions supposées être favorables à l’opposition, certains électeurs ayant commencé à voter à 10 heures (au lieu de 7 heures), 10 heures 30, voire 11 heures, la Cour ose invoquer la correction de ces erreurs par le communiqué n°21 de la CENI, sans vérifier si les différents BV en question, ont bien appliqué ce communiqué, par ailleurs illégal.
Certes il est possible à la marge (dans des cas exceptionnels) et non par convenance, de modifier localement les horaires de fermeture, mais pas à l’échelle d’un pays, en outre par une personne habilitée à le faire. De toute façon, l’article 65 alinéa 4 précise que le président du BV peut ne pas retarder l’heure de fermeture (c’est à son appréciation), ce qui infirme – s’il était nécessaire de le faire – la prétendue durée légale de 11 heures.
En raisonnant par l’absurde, on pourrait imaginer qu’à l’heure des technologies de l’information, la faculté de transmettre des résultats très serrés en temps réel sur toute l’étendue du territoire, pourrait permettre à un camp qui aurait volontairement retardé le début du scrutin dans sa circonscription, de pouvoir bénéficier de cette « nouvelle règle non écrite », et faire gagner son candidat en « ajustant » les résultats.
On pourrait imaginer la légalité de cette règle de modification des horaires d’ouverture ou de fermeture des BV, seulement avec l’accord unanime de l’ensemble des partis politiques participant, dès lors que cette modification n’empêcherait pas certains électeurs de participer aux votes et n’aurait pas d’influence sur les résultats du scrutin.
Contrairement à ce qu’affirme la Cour, l’uniformisation de l’heure de fermeture des BV vise à limiter le risque d’une divulgation anticipée des résultats partiels à partir des informations recueillies dans les BV fermant à 18 heures. Ces indications sont susceptibles de porter atteinte au principe de sincérité du scrutin. En effet, la diffusion de résultats partiels résultant des dépouillements correspondant à des régions où le vote se terminerait avant la fermeture des derniers BV, pourrait pour l’élection présidentielle, prendre une résonance particulière qui ne s’observe pas pour les autres scrutins.
Là encore au lieu d’affirmer de façon péremptoire, que la CENI est une Autorité administrative indépendante, qui peut prendre des dispositions valables pour tous les BV (violer la loi ?), la Cour aurait dû s’employer à rappeler l’interdiction législative, édictée dans le souci de garantir le libre exercice du droit de suffrage et de préserver le choix des électeurs de toute interférence extérieure. En outre, on connaît sa routine classique, maintes fois évoquée par ailleurs, selon laquelle « les éventuelles erreurs ne sont pas de nature à entacher la sincérité du scrutin ».
Conclusion
Même si nul n’est censé ignorer la loi, il serait utile de bien clarifier les compétences de chaque ordre de juridiction en matière électorale, puisque entre le juge administratif[6], judiciaire, et constitutionnel, il y a de quoi se perdre dans ce labyrinthe pour les partis politiques, qui devraient toutefois renforcer leur pôle juridique.
La CENI a failli par cupidité (un audit sérieux serait le bienvenu), incompétence, malhonnêteté et sans doute servilité. Il est nécessaire de la réformer immédiatement, voire même de la supprimer purement et simplement. Non contente de créer des problèmes, elle prétend même faire la loi. C’est elle qui est à l’origine des problèmes électoraux, et il est désormais urgent de s’en occuper dès à présent.
Mais la Cour constitutionnelle ne joue pas le rôle de gardien du temple, qu’elle avait pourtant l’occasion d’incarner, et s’évertue malhonnêtement à tenter de justifier – avec les mêmes conséquences que la Cour Suprême, qui ne se prononçait pas et créait un déni de justice – les violations de la CENI, par des considérations venues de nulle part.
Gandhi, citoyen guinéen
« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au
moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace » (Robespierre, Discours
sur la liberté de la presse, Mai 1791).
[1] Faya Millimouno, Lansana Kouyaté et Papa Koly Kourouma.
[2] Alpha Oumar Camara, http://guineenews.org/arret-declaratif-du-31-octobre-de-la-cour-constitutionnelle-guineenne-la-jurisprudence/
[3] Rapport final de la MOEUE pour les élections législatives du 28 Septembre 2013, Annexe 12, pages 111 et 118.
[4] Kankan, Siguiri, Mandiana, Faranah, Kouroussa, Kissidougou et Kérouané.
[5] Rapport du 12 Septembre 2015 au Comité de Suivi de la consolidation du fichier électoral, page 5.
[6] Pour la validité des décrets relatifs à l’élection, comme par exemple celui de la convocation des électeurs, qui pourrait remettre en cause la régularité de tout le processus électoral.