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Le Doyen Ansoumane Doré nous manquera toujours (Par Alpha Sidoux Barry)

mars 29th, 2016 | par Leguepard.net
Le Doyen Ansoumane Doré nous manquera toujours (Par Alpha Sidoux Barry)
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Un formidable coup de tonnerre a éclaté dans le ciel de la communauté guinéenne en France ce jeudi 24 mars 2016 à 3 heures du matin. La terrible nouvelle s’est répandue à la vitesse de l’éclair : le Doyen Ansoumane Doré s’est éteint à l’hôpital de Dijon des suites d’une intervention chirurgicale.

C’est un grand homme qui disparaît. Un intellectuel de haut niveau et au sens noble du terme, la voix des sans voix, un fervent défenseur de la cause guinéenne, un juste parmi les justes. Le brutal décès de celui que nous appelions avec affection et haute estime le Doyen Doré est une perte inestimable pour la diaspora guinéenne, pour la Guinée et pour l’Afrique tout entière.

Il a été inhumé au cimetière de la ville de Dijon, dans le centre-est de la France, le samedi 26 mars à 11 heures devant une foule nombreuse de parents et d’amis. Toute l’Afrique était représentée à cette cérémonie solennelle mais sobre, à l’image de l’illustre défunt, un homme à la modestie légendaire comme il sied à un personnalité de son envergure.

Beaucoup sont venus de toutes les régions de France et même de l’étranger, bien que les obsèques ont eu lieu deux jours seulement après le décès. De grandes figures de la société civile ont tenu à y être présentes, ainsi que des enseignants, des chercheurs et des étudiants de l’université de Dijon où le professeur Ansoumane Doré a officié pendant trois décennies. Il y avait notamment l’ami d’enfance Kabiné Kéïta venu de Paris, d’anciens étudiants comme Thierno Amadou Barry et son épouse Dr Marly Barry, venus de Boulogne-sur-Mer, des amis de longue date tels Ibrahima Kylé Diallo, Saïd Nour Bokoum et moi-même, ainsi qu’Adjidjatou Barry Baud, venue de Lausanne en Suisse. Il y avait aussi, bien sûr, le président de l’Association des ressortissants guinéens à Dijon, Ousmane Baldé.

Le professeur Ansoumane Doré, docteur d’Etat en sciences économiques et diplômé en sociologie, auteur de plusieurs ouvrages et d’un grand nombre d’articles scientifiques et de travaux de recherche, laisse une veuve, Thérèse, et trois enfants : Mory, Saran et Ami, ainsi que de nombreux petits-enfants. Il sera difficile de consoler cette famille viscéralement attachée à un père aimant qui a su tisser avec les siens des liens indéfectibles. L’aîné, Mory, banquier de son état, a rappelé dans une émouvante intervention au cimetière l’amour qui liait ce pater familias aux qualités morales, humaines et intellectuelles exceptionnelles à son épouse, à ses enfants et à toute la communauté guinéenne et française au sein de laquelle il vivait.

Dans une intervention improvisée, ponctuée de sanglots, Ibrahima kylé Diallo qu’une grande amitié liait au professeur Doré a trouvé les mots justes pour exprimer sa douleur et sa peine :

« DD (Doyen Doré) n’écrira plus ! Lui qui n’a jamais fumé la pipe vient de « casser la plume » très tôt en ce jeudi 24 mars 2016. Quelques heures avant sa mort, je l’avais encore au téléphone, toujours souriant et lucide. Physiquement épuisé, mon doyen (ou plutôt notre doyen) avait toute sa tête ! Il écrivait beaucoup, surtout il écrivait bien. Qui ne l’a lu ? Il n’écrira plus mais on le lira encore.

Ansoumane Doré était une sommité, un grand intellectuel, un économiste de premier plan. De Boola en Guinée à Dijon en passant par Boké et Nancy, quel parcours ! Il n’était pas qu’un Guinéen ou seulement un Africain mais un homme universel, épris de justice et d’équité.

J’ai beaucoup appris de mon ami et frère Ansou. Lorsqu’on est père et papy comme moi, on n’a plus peur d’être orphelin. Avec la disparition d’Ansou, je redeviens orphelin et ce nouveau statut peu enviable me pèse lourdement.

Une grande lumière vient de s’éteindre et cette perte ne se traduira pas par une économie d’énergie.

Nous avons accompagné DD à sa dernière demeure et j’ai porté, avec la famille, son cercueil ce samedi 26 mars 2016.

Que dire pour l’instant ? Faire parler sa tête ou ouvrir son cœur ? Etant encore sonné, je ne peux pas répondre à une telle question pourtant simple.

C’est le cœur serré que Kylé dit ceci : « Kotoh Ansou, tu as toujours eu une longueur d’avance sur la plupart d’entre nous. Maintenant, tu es arrivé à destination, tu n’as plus d’autre choix que de nous attendre ! Repose en paix, Nkoro ! Seul Allah sait quand nous te rejoindrons. »

Et l’un des collègues du professeur Doré, s’adressant à lui, de tenir ces paroles sublimes : « Tu étais la mémoire de l’Afrique. Tu étais un conteur exceptionnel. Tu étais un ami fidèle. Tu étais un mari aimant. Tu étais un père remarquable. »

Ansoumane Doré a vu le jour en 1936 dans le village de Boola, à 10 km de Beyla en Guinée forestière, dans une famille malinké au grand passé historique. Il a fait ses premières classes à l’école primaire de Boola puis de Beyla à partir de l’âge de 7 ans, avant de faire son entrée en 1949 au collège classique de Conakry, qui deviendra le lycée de Donka. Il présente brillamment l’examen de la deuxième partie du baccalauréat en 1956.

Nous sommes, depuis juin 1956, sous le régime de la Loi cadre (connue sous le nom de Loi Gaston Deferre) qui démarre la marche des colonies françaises, dont la Guinée, vers l’autonomie. Les jeunes bacheliers, qui étaient plutôt rares, devaient se préparer à faire des études supérieures pour faire face à l’évolution politique qui se dessinait. Ansoumane s’engage dans l’Education nationale pour une durée d’un an afin de couvrir financièrement son cursus qu’il envisageait dans ce qui était alors l’université à Dakar, à savoir l’Institut des hautes études de la capitale sénégalaise rattaché à l’université de Bordeaux. Il est affecté comme instituteur à Boké.

De ses entretiens avec l’administrateur français du cercle (circonscription administrative) de Boké, Ansoumane Doré obtient des informations sur l’ENFOM, l’Ecole nationale de la France d’Outre-mer, l’équivalent de l’ENA, l’Ecole nationale d’administration pour les Français. Mais, pour y accéder, les titulaires du baccalauréat devaient passer d’abord par les classes préparatoires dans l’un des prestigieux lycées de la France métropolitaine : Montaigne à Bordeaux, Henri IV à Paris ou Henri Poincaré à Nancy. Deux à trois années étaient nécessaires pour se présenter au concours d’entrée à l’ENFOM.

Après l’année passée à Boké qui préfigure sa future carrière de pédagogue, il débarque à Marseille, en 1957, par ses propres moyens, puis arrive à Nancy pour s’inscrire à Henri Poincaré où l’ont précédé trois illustres compatriotes : l’administrateur Camara Balla, Camara Faraban, qui deviendra le premier ministre de l’Education nationale de la Guinée indépendante et Diallo Telli, futur premier secrétaire général de l’OUA (actuelle Union Africaine). Mais, dès l’entrée, le centre de recrutement militaire de Kindia en Guinée lui signifie, par deux gendarmes français venus lui présenter la convocation, qu’il doit s’y rendre, sous peine d’être considéré comme déserteur. Malgré l’intervention du proviseur du lycée, il est embarqué pour la caserne de Metz en Moselle. La guerre d’Algérie battait alors son plein et il risquait d’y être envoyé. Mais, après deux mois d’entraînement militaire intensif et force intervention du proviseur de son lycée, il obtient un sursis. Entre-temps, la Guinée proclame son indépendance le 2 octobre 1958 à la suite du référendum du 28 septembre. Les relations avec la France se détériorent gravement.

Ansoumane Doré renonce à son projet d’entrer à l’ENFOM, qui n’avait plus de sens pour un Guinéen. Il s’inscrit en octobre 1958 à l’université de Dijon au sein de la faculté de sciences économiques. Il est alors âgé de 22 ans. Il présente la licence, avec le régime de quatre ans, en 1962 et le diplôme d’études supérieures (DES), en 1964. Entre-temps, il s’est inscrit en lettres et sciences humaines et a obtenu la licence de sociologie l’année précédente.

Dès la licence d’économie, il entre dans la vie active, d’abord dans le privé comme cadre commercial, de 1962 à 1964, ensuite dans le secteur public comme fonctionnaire à l’INSEE, l’Institut national de la statistique et des études économiques (1965-1971). Parallèlement, il préparait sa thèse de doctorat d’Etat qu’il a présentée en 1970 avec la distinction la plus élevée. A partir de 1971, il est chercheur-enseignant puis professeur à la Faculté de sciences économiques et de gestion de l’université de Bourgogne à Dijon, jusqu’à sa retraite en 2001.

A l’université, outre les cours, il a été associé à la codirection de l’Institut universitaire de recherche et d’encadrement de mémoires et de thèses de doctorat d’étudiants. En plus d’un grand nombre d’ouvrages très fouillés sur l’économie régionale de la Bourgogne, d’articles scientifiques, de communications lors de conférences, colloques et congrès, il a publié notamment, en 1986, « Economie et société en République de Guinée – 1958-1984 et perspectives » (Editions Bayardère, Malakoff, 518 pages). Il est également l’auteur de deux romans : « A l’ombre des cocotiers », aux Nouvelles éditions Bayardère, Malakoff, 1987, et « Allamako à l’ombre des fromagers », aux Editions Klanba, Paris, 2007.

L’appel intérieur du pays natal qui tenaille chaque émigré ne s’est pas démenti chez le professeur Ansoumane Doré. Mais, l’on sait que nombre de Guinéens de la diaspora ayant une qualification élevée, des médecins, des ingénieurs et des professeurs ne sont pas rentrés en Guinée en ayant eu connaissance du sort qui a été réservé à ceux qui ont tenté le retour : arrestations arbitraires, emprisonnements, exécutions extrajudiciaires. « Le schéma adopté dès le départ par Sékou Touré aurait enfermé n’importe quel peuple africain dans les mailles de la dictature », a déclaré le Doyen Ansoumane Doré en observant l’expérience guinéenne. Ce régime et ceux qui l’ont suivi ont conduit la Guinée à la destruction et à l’impasse que nous connaissons après plus de cinquante ans de despotisme et de pratiques antidémocratiques.

Le doyen Ansoumane Doré a disparu. Mais des hommes comme lui ne meurent jamais. Sa mémoire vivra éternellement. Et il sera toujours parmi nous.

 

 

 

 

Alpha Sidoux Barry

Président de Conseil & Communication International (C&CI)

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