A son corps défendant, buvant la coupe jusqu’à la lie, le président Joe Biden a effectué une visite en Arabie saoudite, en juillet 2022, pour y rencontrer le prince héritier saoudien Mohamad Ben Salmane, qu’il avait maintenu à distance dans une sorte d’ostracisme visant à sanctionner la responsabilité criminelle de MBS dans l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.
Depuis son élection à la présidence des États-Unis, Joe Biden avait réservé ses contacts, exclusivement, au Roi Salmane, un octogénaire atteint d’une maladie handicapante. Mais la guerre d’Ukraine et ses répercussions inflationnistes sur les économies américaines et européennes du fait de l’embargo occidental sur le pétrole russe ont conduit le président américain à renoncer à sa posture morale au profit de la realpolitik.
Le terme “realpolitik” est l’euphémisme en usage dans le langage diplomatique occidental pour masquer la reddition américaine au tyran saoudien.
Joe Biden paraît devoir lever son veto à l’accession de l’impétueux prince héritier saoudien au trône wahhabite en contrepartie d’une augmentation de la production du pétrole saoudien afin de provoquer une baisse du prix du brut dans la perspective des élections américaines de mi-mandat, en novembre 2022.
Les guerre successives engagées par les États-Unis contre le monde arabo musulman depuis le début du XXI me siècle et leurs revers désastreux pour l’image de l’Occident que cela soit en Irak, en Libye, en Afghanistan, ont cannibalisé l’économie américaine et mis en péril la suprématie du dollar dans les échanges internationaux.
Pour camoufler son rétropédalage, Joe Biden a repris à son compte le projet initié par son initiateur décrié, Donald Trump, de la constitution d’un OTAN arabe scellant une alliance militaire entre Les pétromonarchies du Golfe et Israël face à l’Iran, en substitution au traditionnel bouclier américain qui protégeait l’ancienne côte des pirates depuis la fin de la II guerre mondiale.
Washington a cherché en fait à compenser son désengagement par un «parapluie israélien» qui verrait l’État hébreu mettre sa puissance militaire et technologique à la disposition des états prêts à s’allier à lui et rejoindre une alliance de défense régionale émergente contre Téhéran.
La riposte de l’Iran et de la Russie à la tournée poussive du président Biden: des facilités d‘escale à la flotte russe sur le Golfe persique et une liaison maritime Saint-Pétersbourg – Mer Caspienne
En riposte à la tournée du président Biden au Moyen orient, poussive –sauf en Israël où il revendiqué l’idéologie “sioniste bien que non juif”, l’Iran et la Russie ont décidé de briser l’embargo maritime que l’Otan avait décrété contre la Russie à l’occasion de la guerre d’Ukraine. Moscou et Téhéran tous deux soumis à embargo américain, et contestataire à l’hégémonie israélo-américaine dans la zone, ont décidé d’aménager un couloir maritime allant de Saint-Pétersbourg à la mer Caspienne à travers la Volga, pour y écouler la production agricole russe à destination de l’Asie et l’Afrique, via le port iranien de Bandar Abbas. Un arrangement doublé de l’octroi de facilités d’escale à la flotte russe sur le Golfe persique, une première dans les annales maritimes internationales.
Retour sur ce projet d’OTAN arabe
Les fondements du partenariat stratégique entre l’Arabie Saoudite et les États Unis sous l’administration républicaine de Donald Trump.
A – Prologue: Du recyclage des concepts stratégiques.
Recycler le vieux avec du neuf. La ficelle est ancienne mais demeure efficace. Avec un objectif fixe: Soutirer davantage d’argent aux pétromonarchies pour maintenir l’économie occidentale en état de grande compétitivité en engageant les monarchies arabes du Golfe dans des guerres coûteuses à l’effet d’accentuer leur dépendance vis à vis de l’OTAN.
L’objectif sous-jacent est double:
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Détourner le Monde arabe de la Palestine en lui fixant un nouvel ennemi: l’Union soviétique, dans la décennie 1980, puis, depuis le début du XXIème siècle, l’Iran, enfin la Syrie, la voie de ravitaillement stratégique du Hezbollah libanais face à Israël.
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Entraver la constitution d’un grand ensemble arabe afin de l’empêcher d’accéder à un seuil critique à l’effet de peser sur la scène internationale.
Le partenariat saoudo-américain conclu sous la mandature de Donald Trump n’échappe pas à la règle.
«L’Otan arabe» répondait exactement à cet objectif en fédérant les pétromonarchies du Golfe dans une alliance militaire avec Israël, face à l’Iran tout en leur faisant assumer financièrement les charges de leur défense.
«L’Arabie saoudite a témoigné un grand enthousiasme envers ce projet plaçant tous ses œufs dans le même panier». Telle est en substance la position saoudienne que révèle le document publié par le journal libanais Al Akhbar en date du 8 Mai 2021.
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Pour aller plus loin sur ce thème, cf ce lien:
L’adoubement de l’artisan du Muslim Ban par les pétro monarchies sunnites
https://www.madaniya.info/2017/05/17/donald-trump-en-arabie-saoudite-ladoubement-de-lartisan-du-muslim-ban-par-le-petromonarchies-sunnites/
Un document top secret saoudien en date du 4 juillet 2019 invite les pays du golfe à accélérer leurs transactions militaires avec les États Unis, particulièrement le système de pré-alerte collectif, quand bien même les États Unis ne seraient nullement engagés à défendre les pétromonarchies dans l’hypothèse d’une agression contre un des pays membres de cette alliance.
Le positionnement des protagonistes
Sans le moindre enthousiasme à l’égard de ce projet, le Koweït et le Sultanat d’Oman ont eu tendance à accompagner le mouvement sans véritablement s’impliquer, insistant sur leur intérêt pour le volet économique du partenariat.Tout comme la Jordanie, plus préoccupée de glaner des subventions en vue de soutenir son économie chancelante. L’Égypte, soucieuse d’éviter d’être entraînée dans des conflits marginaux, a souhaité que soit établie une claire démarcation entre les «groupements terroristes», qu’il importait de combattre et les «groupes armés», qu’il convenait de ménager.
L’Égypte voulait ainsi éviter d’être appelée à combattre des groupes armés hostiles à l’Arabie saoudite, tels les Houthistes du Yémen ou le Hachd Al Chaabi d’Irak.
Les divergences inter-arabes envers le projet de l’OTAN arabe ont fait capoter le projet.
Les principaux points du document top secret saoudien en date du 4 juillet 2019
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Mettre sur pied des institutions en vue de constituer une force en mesure de s’opposer à toute agression iranienne.
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Le Moyen Orient doit devenir une forteresse inexpugnable face à toute force hostile.
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Équiper les pays de la zone du système de défense aérien le plus sophistiqué (américain, cela va sans dire).
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Le projet MESA prévoit en outre l’aménagement d’une base navale commune sur la Mer Rouge et la constitution d’une «Force de Réserve» des pays musulmans prête à s’engager dans la guerre contre Daech.
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Développer le potentiel militaire des pays membres et établir une complémentarité entre eux en renforçant la coopération entre les appareils de sécurité et les services de renseignements.
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Tous les membres fondateurs bénéficieront du label «Allié majeur hors Otan». Ce dispositif permet aux Etats Unis de se soustraire à des engagements contraignants qui découlent de son implication dans l’Alliance Atlantique, notamment une intervention directe en cas de conflit.
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Créer un environnement qui rende toute vie impossible aux terroristes jihadistes.
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Édifier un solide secteur privé de l’économie membre de l’alliance.
Les États membres fondateurs seront constitués des six pays membres du Conseil de Coopération du Golfe (Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats Arabes Unis, Koweït, Qatar, Sultanat d’Oman) ainsi que de la Jordanie avec une possibilité d’y inclure l’Égypte.
Les réserves saoudiennes
Première réserve:
L’Arabie saoudite, enthousiaste à l’époque à l’idée de se lancer dans une croisade contre l’Iran avec l’aide des autres pétromonarchies, a émis toutefois des réserves concernant sa politique énergétique, spécifiant en marge du document que «cette alliance ne saurait avoir la moindre incidence sur la politique pétrolière du Royaume».
Deuxième réserve:
«L’alliance doit inclure le combat contre les bras armés de l’Iran dans la zone» (Les Houthistes du Yémen, le Hachd Al Chaabi en Irak et le Hezbollah libanais)
La commission d’évaluation saoudienne a noté toutefois que le projet MESA va générer d’importants profits aux États-Unis sans pour autant la contraindre à des obligations impératives, alors que les autres États membres en tireront des profits limités de cette alliance».
En dépit de ses réserves, le Royaume s’est montré très enthousiaste
envers ce projet, y voyant un moyen de pression indirect sur l’Iran. Mais c’était sans compter sur l’effet délétère de son enlisement au Yémen et la déroute électorale de Donald Trump.
Pour le locuteur arabophone, cf ce lien.
Variations sur le même thème
En 67 ans, de la fondation du Cento, le pacte central qui devait servir de maillon intermédiaire entre l’OTAN (Atlantique) et l’OTASE (Asie pacifique), au Grand Moyen Orient, à l’Union Pour la Méditerranée, à l’OTAN arabe, les concepts élaborés par les stratèges américains ont constitué autant de variations sur un même thème.
A – Le CENTO, appelé aussi Pacte de Bagdad, était constitué par l’Irak (dirigé à l’époque par la branche aînée de la dynastie hachémite), la Turquie et et le Pakistan, deux pays musulmans non arabes.
Il cessera de fonctionner à la chute de la monarchie irakienne en juillet 1958 et remplacé par RCD Regional Cooperation Development Organisation, un groupement comprenant la Turquie, membre de l’Otan, le Pakistan, Body Guard de la dynastie wahhabite ainsi que le Royaume Uni.
A la chute de la dynastie impériale iranienne, gendarme des États Unis dans le golfe et le triomphe de la Révolution islamique, en 1979, un nouveau concept a vu le jour avec «la notion des pays de l’Arc de Crise», théorisé par Zbigniew Brzezinski (administration Carter 1976-1980).
Il sera suivi par le Grand Moyen Orient (George Bush Jr 2000-2008), auquel succédera le Nouveau Moyen Orient et son prolongement l’OTAN Arabe brandi par Donald Trump (2016-2020) et matérialisé par le Pacte d’Abraham: la reconnaissance d’Israël par trois monarchies arabes (Bahreïn, Émirats Arabes Unis, Maroc) ainsi que le Soudan, dans un un triple objectif: Contenir l’Iran en faisant supporter les pétromonarchies du Golfe les coût militaires de ce confinement, substituer l’Iran comme ennemi héréditaire des Arabes en lui substituant une coopération arabo-israélienne.
B- Du «Grand Moyen Orient» à l’«Alliance pour un Nouveau Moyen Orient»
Reprise de la vieille notion des “pays de l’arc de crise”, The “Greater Middle East” ou Le «Grand Moyen-Orient» est un terme utilisé par le président George W. Bush (2000-208), vingt ans plus tard, pour désigner un espace s’étendant du Maghreb et de la Mauritanie au Pakistan et à l’Afghanistan, en passant par la Turquie, le Machreq et l’ensemble de la péninsule Arabique. Avec pour pivot militaire le CentCom, le commandement central basé à Doha (Qatar)
Du renouvellement de la Question d’Orient. Par Roger Naba’a
Ce projet connaîtra un sort tragique.
Deux des principaux chefs de file de ce projet, le premier ministre libanais sunnite Rafic Hariri et la première ministre chiite du Pakistan Benazir Bhutto, deux pays situés aux extrémités de cet ensemble, seront éliminés de la scène politique de manière violente et George Bush jr, passera dans l’histoire comme «le pire président des États Unis» avant l’arrivée de Donald Trump.
C – L’Union Pour la Méditerranée
Projet mort né. Le projet de Nicolas Sarkozy d’Union Pour la Méditerranée devait concrétiser le projet américain sous couvert de coopération et de développement entre les deux rives de la Méditerranée. La destruction de Gaza, en 2009, a porté un coup fatal à ce projet moins d’un an après son lancement et a révélé la dystopie du discours de Nicolas Sarkozy.
Pour aller plus loin sur ce thème, cf ces liens :
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https://www.renenaba.com/union-pour-la-mediterranee-un-orni-objet-remuant-non-identifie/
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https://www.renenaba.com/1er-anniversaire-du-lancement-de-lunion-pour-la-mediterranee/